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Affaire SEZNEC : Qui est Charly, ou les révélations d'une résistante.

Roger Faligot enquète sur Charly, le mystérieux trafiquant de voitures au coeur de l'affaire. (extrait du Ouest France N°48, 1er novembre 1998).
 
 
Paris de l'occupation. Tout commence ce 11 avril 1944 par un rendez vous manqué. Colette NOLL, étudiante en lettres, fait le pied de grue, square Louvois, face à la bibliothèque nationale. Le jeune étudiant qu'elle doit rencontrer dans le cadre de la Résistance se fait désirer. Fidèle aux consignes d’ « Alain », le responsable de son groupe, Colette quitte le square. Apparaît sur le trottoir d’en face une silhouette familière qu’elle feint d’ignorer : un homme bedonnant et trapu, au teint mat, engoncé dans son manteau de cheviotte gris. C’est Charly, un ferrailleur qu’elle a rencontré au cours de liaisons clandestines. 
Soudain, une main, telle la serre d’un aigle, lui agrippe l’épaule, et retentissent les trois syllabes funestes : Ges-ta-po ! Elle rejoint, dans une traction avant qui file déjà à tombeau ouvert, son contact, « Jacques », glacé d’effroi. Rue des Saussaies, dans les locaux du Service de Sûreté SS, la résistante est traînée dans les étages. 
Terrorisée, elle s’attend à être martyrisée : « ils savaient tout de moi, ils n’avaient aucune raison de me torturer. », dit-elle aujourd’hui. La Gestapo sait qu’originaire du Doubs, lycéenne à Victor Duruy, elle a fait hypokhâgne à Fénelon, en 1942, qu’elle n’est ni juive ni communiste mais elle a rejoint, sous le nom de « Claude » les Francs Tireurs et les Partisans grâce à des compagnons d’étude. Colette a été « donnée ». 
Agent de la Gestapo
Le mouchard, c’est Charly, l’homme de la rue Richelieu, qu’elle a souvent rencontré parce qu’il rendait des services pratiques, y compris des fournitures d’armes…Il est visiblement de mèche avec ces messieurs de la Gestapo. Confrontée à lui, la jeune fille n’oubliera jamais ses yeux noirs fuyants et sa mine de traître de théâtre. Charly figure parmi ces français de la Gestapo à la solde de l’occupant, comme le gangster Henri Lafont et l’inspecteur Pierre Bonny. 
Un goût amer
Emprisonnée à Fresnes, Colette se retrouvera au camp de concentration de Ravensbrück puis à l’usine Siemens de Berlin, et enfin au camp de Sachsenhausen que les alliés libèrent en mai 1945. Après 6 mois de convalescence à la montagne, Colette Noll se fait homologuer au Front National (l’organisation civile des FTP). Elle apprend l’identité d’ « Alain » qui a survécu. Il a été blessé le même 11 avril44, au métro Saint Cloud, au cours d’un accrochage avec la Gestapo. De son vrai nom Simon Vogel, il habite 27 rue Piat.Elle s’y rend le cœur battant. Simon n’et guère chaleureux « avec son air d’agent secret ». Réticent à donner des informations sur le traître Charly, il précise toutefois : « Charly, ou Charles-Ali, est un ferrailleur juif algérien qui a fait fortune sous l’occupation. Tout comme Joanovici, ce juif bessarabien, trafiquant avec les nazis comme avec les communistes et fréquentant Bonny et Lafont. 
Cette rencontre lui laisse un goût amer. Pourquoi lui a-t-on fait prendre de tels risques en connaissant la vraie nature de Charly ? N’était-elle qu’un pion sur l’échiquier où se jouait une partie supérieure ? La vie reprend ses droits : la jeune embrasse une carrière d’ethnographe et devient conservatrice du musée des arts anciens de Tunis. Dans les années 60, à Paris, elle rencontre une ancienne diplomate qui avait caché des journaux FTP. C’est aussi Charly qui l’a dénoncée. 
Une seule fois, Colette a revu Simon Vogel. C’est en 1963 à l’enterrement de Marcel Prenant, cet ancien biologiste à Roscoff devenu chef d’état major des FTP. Mais Vogel demeure un mystère. Même pour Boris Holban, Adam Rayski ou Victor Zigelman, ces anciens animateurs de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) que j’ai contactés pour retrouver sa trace. 
Pour Colette, l’histoire aurait pu s’arrêter ici. Mais survient un rebondissement inattendu. Comme ses enfants habitent en Bretagne, elle partage son temps entre paris et le sud Finistère. 
Un jour de 1993, elle achète le livre de Denis Seznec « Nous les Seznec » (Robert Laffont). Il y retrace le destin tragique de son grand-père condamné au bagne pour le meurtre d’un partenaire en affaire dont on a jamais retrouvé le corps, et le combat de sa famille pour sa réhabilitation. 
En le feuilletant, Colette tombe en arrêt devant une photo : celle de Gherdi Boufjema, alias Charly. En plus jeune, mais c’est bien lui. Que vient faire « son » Charly dans l’affaire Seznec.
Embargo contre les soviets
Feuilletons le dossier : le maître de scierie Guillaume Seznec et le conseiller général de Sizun, Pierre Quémeneur, ont récupéré des automobiles du corps expéditionnaire américain à Brest en 1917. Ils sont partis le 25 lai 1923 à bord d’une Cadillac qu’ils vont vendre à Paris quand Quémeneur disparaît. 
La vendre à qui ?A la jeune république des soviets, l’objet d’un embargo, comme l’Irak de nos jours. Or, affirme Seznec, c’est Charly, alias Francis ou l’Américain, vendeur de pièces détachées d’auto à Paris, qui était l’intermédiaire. Toutefois, au procès, impossible de retrouver de gaillard, ce qui nuit à la cause de l’accusé, suspecté d’avoir tué son ami. Le voilà condamné aux travaux forcés en novembre 1924. L’acte d’accusation est formel : nulle trace n’a été retrouvé à Paris du prétendu Charly qui apparaît comme une pure création de l’imagination de Charly. 
Pourtant, en 1926, des journalistes retrouvent le ferrailleurs et le photographient. Mais la preuve de l’existence de Gherdy ne constitue pas, selon la justice, un fait nouveau de nature à obtenir une révision du procès. Pendant 20 ans, Seznec clamera son innocence au bagne de Guyane. Gracié en 1947 par le général de Gaule en 1947, il meurt en 1954. 
Un an plus tard, le journaliste Claude Bal publie son livre « Seznec était innocent ». Bal est l’ami de Roger Wybot, le patron de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) qui croit en l'innocence de Seznec :  il est certain qu’un trafic avec l’URSS couvert par certaines personnalités de la IIIème république … Ayant traité à la libération des dossiers des collaborateurs, comme celui de Joanovici, Wybot aiguille Bal vers des pistes inexplorées. 
Le reporter retrouve Gherdi à Epinay-sur-Seine. L’ancien ferrailleur nage dans le luxe et vit dans un somptueux pavillon entretenu par un personnel stylé. Ayant prospéré grâce aux SS, il a consolidé ses avoirs avec les GI et vend désormais des « belles » américaines. Gherdi admet avoir connu Quémeneur et rencontré Seznec. Mais il ne veut plus entendre parler de cette affaire ni évoquer les jours sombres de l’occupation … 
D’ailleurs, « l’honorable Gherdi », comme il se désigne lui même, avait déjà tout raconté dès juillet 1923 à l’inspecteur Bonny, enquêteur de la Secrète, c’est à dire le contre espionnage de la Sureté générale. Un PV d’interrogatoire débusqué par l’avocat Denis Langlois confirmera ces dires en 1976. Dix ans après la mort de Gherdi qui a emporté ses lourds secrets dans la tombe, le 22 novembre 1966.
Double jeu 
Ahurissant : l’existence de Gherdi était connue avant le procès, mais les pièces qui prouvaient que Seznec ne mentait pas avaient disparu. Autre fait marquant, Bonny connaissait Gherdi depuis au moins 1923… Ce que révèle aujourd’hui Colette Noll démontre que les 2 hommes, Bonny et Gherdi, ont suivi la même trajectoire, à l’ombre de la crois gammée. A une différence près, Bonny a été fusillé en 1944 tandis que le rusé Gherdi a conservé des liens avec l’appareil soviétique en France. Son double jeu lui a sauvé la mise et l’a même enrichi. C’est ce que découvre Colette, cinquante ans après son arrestation. 
Comment ne pas la croire. Ses états de service dans la résistance sont indiscutables. Et son récit – que Seznec soit innocent ou non – permet de mieux saisir l’ampleur de l’affaire d’état. Ce qui m’a été confirmé par une expérience personnelle en 1992, j’ai trouvé dans les archives nationales américaines une photo datant d’avril 1924, montrant une Cadillac Torpedo de la même série que celle pilotée par Seznec. On y voit trôner Félix Dzerjinsky, le chef de la Tchéka, le futur KGB russe. Preuve que la nomenklatura soviétique s’approvisionne en voiture de luxe de ce type, en dépit de l’embargo. « On peut imaginer que Quémeneur a été liquidé, car il se trouvait en porte-à-faux, dans ce trafic, entre l’URSS et les autorités françaises ? », se prend à songer tout haut Colette Noll. « En tut cas, j’ai été victime comme Seznec du même Charly et il jouait, en 1944, un double jeu entre les communistes et la Gestapo. »

Page créée le 27 avril 1999 - Mise à jour du 14 octobre 2007
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